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Une nouvelle étude montre que les navires récents émettent davantage d'azote dans la mer du Nord belge

L'Institut royal des Sciences naturelles de Belgique (IRSNB) a mené une étude à grande échelle traitant des émissions d'oxyde d'azote (NOx) émises par les navires dans la partie belge de la mer du Nord. Nos eaux font partie d'une zone de faible émission de NOx (NECA) qui a été établie pour en réduire les effets néfastes sur les États côtiers densément peuplés autour de la mer du Nord. L'étude montre que la majorité des navires respectent les normes d'émission. Cependant, les mesures indiquent également que dans les eaux belges, les navires récents engendrent des émissions moyennes de NOx plus élevées que les navires plus anciens. Cela mérite d'être souligné étant donné que les réglementations internationales visent à réduire les émissions de NOx dans la NECA de manière progressive, les navires récents devant justement répondre à des normes plus strictes que les navires plus anciens.

Grâce à l’installation d'un capteur renifleur dans l'avion de surveillance aérienne belge, appartenant à l’IRSNB et fréquemment déployé dans le cadre des missions de la Garde côtière, notre pays est reconnu comme pionnier dans la lutte internationale contre la pollution atmosphérique des navires en mer. Le capteur permet de mesurer sur le terrain divers polluants atmosphériques dans les émissions provenant des navires. Les mesures de dioxyde de soufre sont au programme depuis 2016. Depuis l'intégration d'un capteur de NOx en 2020, l'avion mesure également la concentration d'oxydes d'azote.

Figure 1: L'avion de surveillance aérienne et les opérateurs en action lors d'un vol avec le capteur renifleur.

Figure 1: L'avion de surveillance aérienne et les opérateurs en action lors d'un vol avec le capteur renifleur.

La nécessaire réduction des émissions de NOx

Le fait que la réduction effective des émissions de NOx, y compris celles causées par le transport maritime, soit un objectif important découle des effets négatifs des NOx sur la santé publique et notre environnement. Les oxydes d'azote pénètrent profondément dans les poumons et sont un agent favorisant les maladies respiratoires et cardiovasculaires. En outre, ils jouent un rôle important dans la formation de l'ozone, qui est non seulement un gaz à effet de serre très puissant mais peut à son tour provoquer des problèmes respiratoires. En outre, les NOx contribuent à la formation des particules fines. Enfin, les NOx contribuent à l'eutrophisation et à l'acidification des milieux marins et terrestres.

Figure 2 Images satellites illustrant les émissions de dioxyde d'azote NO2 en mer et sur terre en mettant clairement en évidence les couloirs de navigation dans la mer du Nord, l'océan Atlantique et la mer Méditerranée (en plus des zones fortement urbanisées et industrialisées sur terre). A noter que des valeurs très élevées de NO2 sont observées non seulement dans la mer du Nord belge, mais aussi dans toute la Flandre, avec des valeurs particulièrement hautes au-dessus d'Anvers.

Figure 2 Images satellites illustrant les émissions de dioxyde d'azote NO2 en mer et sur terre en mettant clairement en évidence les couloirs de navigation dans la mer du Nord, l'océan Atlantique et la mer Méditerranée (en plus des zones fortement urbanisées et industrialisées sur terre). A noter que des valeurs très élevées de NO2 sont observées non seulement dans la mer du Nord belge, mais aussi dans toute la Flandre, avec des valeurs particulièrement hautes au-dessus d'Anvers.

 

Suivant l'exemple de la mer Baltique, la mer du Nord et la Manche ont été reconnues comme des zones de contrôle des émissions afin que les régions côtières densément peuplées des États de la mer du Nord et les zones maritimes fragiles soient mieux protégées contre les effets néfastes des NOx. Comme la densité de la navigation y est très élevée et que les voies de navigation très fréquentées sont proches de la terre, la réduction des émissions de NOx dues à la navigation est particulièrement importante dans cette zone. La règle 13 de l'annexe VI de la convention MARPOL de l'Organisation maritime internationale (OMI) impose des limites plus strictes aux émissions d'azote des navires dans la zone de contrôle des émissions de NOx (NECA) de la mer du Nord à partir du 1er janvier 2021. Elle fixe des limites d'émission en fonction de la date de construction des navires. À l'instar des voitures, pour lesquelles les normes Euro sont définies en fonction de l'année de construction, les limites internationales d'émission de NOx dans le secteur maritime sont divisées en différents niveaux ou "Tiers". Le niveau 0 s'applique aux navires construits avant 2000, le niveau I aux navires construits de 2000 à 2010, le niveau II aux navires de 2011 à 2020 et le niveau III aux navires à partir de 2021 dans les NECA. Pour les navires des catégories d'âge plus récentes, cela implique des normes de plus en plus strictes par rapport aux navires plus anciens. De cette façon, il était attendu que les navires de Tier II et de Tier III émettent respectivement 20% et 80% moins d’azote que les navires Tier I dans les zones NECA.

Figure 3 Zone de contrôle des émissions (ECA) en mer du Nord et en mer Baltique et la limite d'émission de NOx telle que définie dans la règle 13 de l'annexe VI de MARPOL.

Figure 3 Zone de contrôle des émissions (ECA) en mer du Nord et en mer Baltique et la limite d'émission de NOx telle que définie dans la règle 13 de l'annexe VI de MARPOL.

 

Résultats de l'enquête belge de suivi

Avec le déploiement de l’avion renifleur, la Belgique est le seul pays au monde à pouvoir déjà dresser un bilan des émissions d’oxyde d’azote provenant des navires de cette manière. Deux années de mesures individualisées des émissions NOx des navires dans la partie belge de la mer du Nord montrent que les normes d'émission sont largement respectées. Cependant, contre toute attente, il a également été constaté que les navires de mer plus récents émettent davantage d'azote dans la zone d'opération de l'avion de surveillance aérienne belge que les navires plus anciens.

En 2020 et en 2021, les émissions d’azote de pas moins de 1407 navires ont été surveillées pendant 127 heures de vol. 59 de ces navires ont montré des valeurs nécessitant une analyse plus approfondie. Il a ainsi été constaté que pour les navires plus récents (Tier II), qui doivent donc répondre à des normes plus strictes, la valeur moyenne d’azote était en réalité plus élevée que celle des navires plus anciens (Tier I et Tier 0). En outre, un plus grand nombre de navires Tier II ont été observés avec des valeurs d’émissions de Nox qui avaient dépassé le seuil prédéterminé.

Figure 4 Les pourcentages obtenus de navires présentant des valeurs de NOx suspectes en 2020 et 2021 illustrent l'occurrence plus fréquente de dépassements des seuils par les navires plus jeunes de Tier II (les catégories "jaune", "orange" et "rouge" indiquent le degré de dépassement de ces seuils).

Figure 4 Les pourcentages obtenus de navires présentant des valeurs de NOx suspectes en 2020 et 2021 illustrent l'occurrence plus fréquente de dépassements des seuils par les navires plus jeunes de Tier II (les catégories "jaune", "orange" et "rouge" indiquent le degré de dépassement de ces seuils).

Analyse et enquête approfondie

En coopération avec la Direction Générale de la Navigation, le secteur du transport maritime et l'Académie Maritime d'Anvers, l’IRSNB va donc mener des recherches supplémentaires sur les origines possibles d’une telle situation. Une explication déjà citée dans l'étude réside dans la façon dont les règlements ont été élaborés pour les navires Tier II, où les émissions de NOx à des régimes moteur inférieurs ont moins de poids dans les normes fixées (avec même aucune limite pour les régimes inférieurs à 25%). Le raisonnement sous-jacent est qu'un navire fonctionne principalement à des régimes moteur plus élevés, et les émissions à ces puissances devraient donc peser plus lourd. Cependant, dans la partie belge de la mer du Nord, en raison du trafic intense et en vue de l’optimalisation des voyages par rapport à l’heure estimée d’arrivée en port, les navires naviguent souvent à un régime moteur plus faible, alors que les émissions de NOx sont justement plus élevées à cette puissance plus faible ... Si une navigation plus efficace sur le plan énergétique permet de réduire la consommation de carburant et les émissions de CO2, elle peut aussi, surtout pour les navires Tier II, entraîner une augmentation des émissions de NOx. Par ailleurs, d'autres polluants peuvent également augmenter avec la baisse de la puissance du moteur, comme le carbone noir et les particules fines. La réglementation internationale qui prévoit une simple réduction des émissions d'azote ne semble donc pas adaptée aux conditions de navigation spécifiques du sud de la mer du Nord.

Une solution possible pour éliminer cet effet inattendu des réglementations internationales pourrait résider dans l’ajout d’un seuil à ne pas dépasser pour les émissions de NOx, indépendamment de la puissance du moteur et de la date de construction des navires. Une telle limite « NTE » (Not To Exceed) a été fixée dans la réglementation pour les navires de niveau III. Il y a donc bon espoir que cette dernière génération de navires permette de réduire les émissions de NOx dans nos zones maritimes. Le problème reste que même pour les navires de niveau III, aucune limite n'a été fixée en dessous d'un régime moteur de 25%.

Date de pose de la quille

Enfin, l'une des faiblesses des réglementations internationales est qu'il reste possible de construire de nouveaux navires suivant des normes antérieures pendant trop longtemps. Dans le règlement, l'année de pose de la quille, c'est-à-dire l'année au cours de laquelle la quille d'un navire est posée et enregistrée, détermine le Tier auquel le navire appartient. Ainsi, sur l'ensemble des navires construits effectivement en 2021, à peine 13 % seront des navires de niveau III. Il a été constaté que le délai entre la date de construction et la date de pose de la quille a fortement augmenté avec la mise en oeuvre de la NECA en mer du Nord en 2021. De cette façon, les navires récents peuvent encore entrer dans la catégorie II et ne doivent donc pas se conformer à la limite plus stricte de la catégorie III qui garantit une réduction effective des émissions de NOx (par exemple en appliquant des systèmes de réduction des NOx). Par conséquent, la Belgique (mais également les Pays-Bas) n'acceptera plus comme navires de niveau II les navires construits à partir de 2026 mais dont l'année de pose de la quille est antérieure à 2021.

Des études comme celle-ci montrent que, même dans le cadre de normes d'émission plus strictes, le transport maritime doit poursuivre ses efforts pour passer de l'utilisation de combustibles fossiles à l'utilisation de sources d'énergie plus durables ayant un impact moindre sur la santé publique, le climat et l'environnement.